Le phénomène wingfoil, très récent – il est nécessaire de le rappeler –, est tout juste installé qu’il est déjà secoué par plusieurs vagues d’expérimentations et d’innovations. Actuellement, la partie la plus visible concerne les ailes, et elle traduit un mouvement en cours : la transformation du matériel en direction d’un but précis, le downwind et le surf. C’est loin d’être anodin à long terme, stratégiquement parlant, pour les marques de matériel et pour l’avenir du wingfoil.
Revenons rapidement en arrière afin de bien poser les bases de cette réflexion :
Héritage des sports de glisse et évolutions passées
Les sports de glisse sur l’eau ne cessent de se métamorphoser. La raison principale est que rien ne vient contrecarrer l’imagination de ceux qui sont en capacité d’innover.
Le surf est passé des planches ancestrales, lourdes et longues, à des tailles plus raisonnables (9 et 10 pieds) avant la révolution de la shortboard. L’innovation dans le shape n’a jamais cessé, et les architectures d’ailerons ont beaucoup évolué au cours des dernières décennies. Ne parlons pas des matériaux, si ce n’est à propos du dernier changement notable : l’arrivée massive des softboards, qui relève plus de la révolution culturelle que d’un saut technologique.
À la fin des années 70 et au début des années 80, la planche à voile débarque sur les rivages : c’est un engin de loisirs. Une génération va s’en saisir (on l’appellera la génération Naish) et en faire un courant sportif, avec là aussi le développement des petites planches et la navigation dans les vagues et le vent fort. On admettra que ce virage impacte la pratique grand public qui disparaitra.
Le kitesurf apparaît à la fin des années 90, même si son concept est bien antérieur (Les frères Legaignoux dès les années 80), le stand up paddle à la fin des années 2000, et on observe les premiers wingfoilers en 2020, même si, une fois encore, les premiers pionniers développent cette idée un peu avant.
Wingfoil et Supfoil comme synthèse et laboratoire d’expérimentations
Le wingfoil est un peu la somme de tout ce qui précède. L’ombre tutélaire du surf plane, mais son principe – un flotteur et une voile – nous rappelle davantage le windsurf. La possibilité du foil « lent » vient des premiers pionniers du stand up paddle foil en Bretagne (Bruno André), ainsi qu’à Hawaii, notamment par le très médiatisé et ultra-talentueux Kai Lenny. La technologie des ailes de kitesurf gonflables permet presque naturellement l’apparition de la wing. Enfin, la relative démocratisation du carbone ouvre de nouvelles possibilités en gain de poids et de rigidité des profils. Tout s’est aligné. On rappellera que dans les années 80, des tentatives d’architectures similaires (la Birdsail en Bretagne) ont vu le jour et que Roland Le Bail a déposé un brevet sous le titre « Voile à effets propulseur et de sustentation variables » : ces documents décrivent une aile à cadre rigide, bord d’attaque en V/dièdre, pensée pour tracter sur l’eau, la neige ou le bitume — exactement l’idée de la wing avant l’heure. Mais rien de comparable à ce qui se passe aujourd’hui n’était possible à l’époque, sans l’aide du foil. Une innovation doit s’inscrire dans son temps.
En 2019/2020, pour résumer, le mouvement wingfoil est là et les marques pionnières lancent leurs premières gammes. Cinq ans plus tard, on voit des « wings » partout sur le littoral. La plupart des écoles de kitesurf – mais pas seulement – ont pris la balle au bond. Le wingfoil est moins difficile d’accès qu’il n’y paraît, il ne comporte pas le risque inhérent au kitesurf, et sa mise à l’eau peut se faire partout ou presque. Les pratiquants viennent de tous les horizons, la gamme d’âge est plus étendue que prévu, le succès est impressionnant.
Aparté : le user centric n’est pas la solution
À ce stade, on peut d’ailleurs faire une constatation. En 2021, Décathlon lance un engin léger, compact et intuitif : la planche à voile Tamahoo. L’idée, audacieuse, est de rendre de nouveau la planche à voile accessible avec un modèle transportable, facile, adapté aux débutants. User centric, pourrait-on dire – et ça, Décathlon sait faire. Le flotteur est gonflable et symétrique (sur le concept du twin-tip du kite mais en plus grand et porteur) et le gréement également, symétrique et gonflable, pour éviter le virement de bord et l’empannage tout en obtenant un modèle léger. En fait, il reprend l’idée du gréement Interwind qui, trente ans plus tôt, s’était révélé un échec. La Tamahoo sera un sérieux revers, pour deux raisons : techniques et culturelles.
Dans le même temps, le wingfoil commence à séduire de plus en plus de pratiquants : il s’agit de se hisser sur une planche qui vous porte à peine, instable à l’arrêt, de se mettre debout sans aucun appui, pour espérer réussir à décoller sur un foil au moyen d’une aile que vous avez juste entre les mains, sans harnais, sans autre forme de lien avec la planche. Mais le rêve de réussir à voler, dopé par les vidéos et le mimétisme, va doper les motivations et transformer cette hypothétique proposition en réussite. Moralité : la facilité comme proposition n’est pas forcément adapté
Le downwind comme nouvelle philosophie

Toute cette évolution ouvre des perspectives. Le graal des passionnés devient le downwind (rappelez vous Kaï Lenny sur le Maliko run en 2016), et il peut prendre plusieurs formes. En stand up paddle foil, il s’agit de descendre la houle en s’aidant d’une pagaie pour « décoller ». La pratique existe depuis quelques années mais reste très élitiste. En France, Erwann Jauffroy a bouclé en 2024 la traversée continent-Corse en stand up foil. Il a ensuite récidivé en battant un record de distance. Des petits collectifs de riders se constituent dans le sud de la France et ailleurs. Il faut aussi citer Olivia Piana, pionnière elle aussi. Casper Steinfath traverse aussi le détroit du Kattegat. Quelque chose se passe, et ce n’est pas forcément que sur le fameux Maliko Run à Hawaii. Sur ce terrain là, des marques comme AFS, F.One, Go Foil, Axis Foil, Codefoils, Armstrong, Ketos, Alpine foil font parler d’eux. Certains viennent du kitefoil dont le périmètre se rétrécit à vue d’oeil.
En wing, les perspectives en downwind s’élargissent car l’aile permet plus de mobilité sur le plan d’eau. Une fois en mode descente, les riders, poussés par la houle donc n’ayant plus besoin de la « motricité » de l’aile, la tiennent d’une main : elle flotte alors comme un drapeau. C’est le freefly.
Hybridation technologique et instabilité créative
Pouvoir disposer de puissance pour s’éloigner, remonter au vent, et s’affranchir totalement de ce gréement ensuite devient le nouvel objectif. Rapidement, on voit apparaître ce qui ressemble à des parapentes de très petites surfaces, avec des lignes minuscules que les riders replient d’un geste rapide. L’aile à caissons (de type parapente) n’a jamais cessé d’accompagner le kite ; elle est dominante en kitefoil olympique notamment. Là, les surfaces sont plus petites. C’est ce qu’on voit apparaître aujourd’hui sous diverses formes.

Cette nouvelle aile déboule en quelques mois sur le marché presque instantanément sous le nom de Parawing, hybridation entre un parapente et une wing. Les marques commercialisent très rapidement des modèles (et précision la chronologie exacte n’est pas le sujet) : Gong avec son Low Kite, F-One présente une aile de kitesurf allégée avec lignes ultra-courtes, la Plume mais aussi une parawing la Frigate. Les principales marques de kite qui avaient embrayé sur la wing sont là aussi : Duotone, North, Flysurfer, Ozone, ou encore des petits acteurs intuitifs comme BRM (liste non exhaustive).
Quid de l’avenir
Plusieurs scénarios sont possibles pour les années à venir :
- Le wingfoil avec une wing classique devient le sport de glisse mainstream, côtier ; il s’installe aux côtés du kitesurf, qui décline mécaniquement. Mais faute d’un imaginaire qui se décale côté downwind, et une fois l’effet nouveauté passé, sa pratique s’installe mais ne se développe plus.
- Le downwind avec parawing se réduit à une niche élitiste (downwind, freefly), car la pratique reste exigeante. Sauf si le scénario surf (voir paragraphe suivant) se précisait.
- Scénario “hybride” : cohabitation d’un marché loisir grand public (wingfoil) et d’une avant-garde très techno.
Un enjeu stratégique : le marché du surf

Le grand marché sur lequel tous les acteurs du foil gardent un œil est celui du surf. Les estimations du nombre de surfeurs sont très variables, mais un élément pose déjà problème : le nombre de vagues disponibles, et à terme la protection des espaces naturels.
En ce sens, le foil renouvelle non seulement la pratique en lui donnant une nouvelle dimension, mais permet aussi de l’imaginer différemment que sur une vague classique. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le surf est un milieu très conservateur, et la greffe – ou ne serait-ce qu’une simple évolution du marché – ne va pas de soi. Mais on peut sincèrement tabler sur un virage progressif à la faveur des nouvelles générations. Un vidéo comme celle-ci dans laquelle on voit les frères Florence dont John John lui-même fait partie des signaux à prendre en compte.
Enfin, pour terminer, il est difficile de ne pas parler de la voile si l’on aborde l’avenir du foil, mais je serai beaucoup plus réservé. En effet, le foil est plus qu’une hypothèse depuis les débuts de la première « maquette » de l’Hydroptère avec Tabarly lui-même à la barre (vers 1976). Ensuite, l’édition 2008 de la Coupe de l’America scelle définitivement l’avènement des plans porteurs. Cependant, hormis en compétition, où il s’est largement développé (SailGP, Imoca, Moth, etc.), le foil n’est quasiment pas accessible à un public plus large. Bien sûr, il y a le Birdyfish, le Yoda ou le Niki de RS Sailing, mais combien de clubs en sont équipés ?
C’est bien via la glisse – et spécialement le wingfoil – que cette pratique a touché un public plus large.
Il est possible qu’un « pont » se fasse un jour entre voile et foil. De nombreux skippers et équipiers d’aujourd’hui font de la wing ; des marques comme Armstrong Foils ont un pied dans chaque univers. Mais dans l’absolu, en voile, le foil reste pour l’instant cantonné au haut niveau de compétition.